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La mer vide

8 Octobre 2017 , Rédigé par Fried

Jonas était plongé dans son monde,  je savais qu'il nous écoutait d'une oreille distraite. On venait d'évoquer une partie de pêche, Grégoire était enthousiaste :
— M'sieur, m'sieur on peut y aller demain ?
Depuis que nous étions arrivés sur l'île, j'avais eu le temps de faire la connaissance de mon groupe de huit enfants, âgés de neuf à dix ans. Jonas, encore sous le choc que ses parents l'aient parachuté dans cette colo.
Gaspard le têtard, surnom dû à cette habitude qu'il avait conservé de téter son pouce parlait doucement avec un amusant zézaiement. Tony et Freddy les jumeaux turbulents. Perceval,  toujours en quête d'une bêtise à faire. Tintin,  qui ne disait pas un mot sans ce
— p'tin !
— P'tin la belle meuf !,  p'tin la piole ! et au réfectoire, p'tin encore de fayots !
Grégoire,  toujours partant pour les activités, quelles qu'elles soient.
Le petit Vladislas , sans doute, un rescapé du Bolchoï,  il ne tenait pas en place. C'était un sacré zigoto gigotant sans arrêt, une pirouette par-ci, un sautillement par là. Huit gamins à distraire avec un large panel d'activité. Ils aimaient les jeux d'approche que j'avais organisé dans la forêt, la construction de cabanes, il était temps de découvrir les rivages de l'île et la mer.
 Après avoir obtenu l'accord du directeur qui m'avait dit: — OK, je vous laisse y aller,  je sais que vous avez votre brevet de surveillant de baignade mais pas de blagues hein ! À la plage où vous allez, il n'y a pas de poste de secours ni M.N.S.
Nous avions préparé avec fébrilité le matériel (la logistique ça ne s'improvise pas) et prévu notre sortie le lendemain après le repas du midi.

Le lendemain au cours du repas, les enfants s’étaient montrés de plus en plus impatients : 

— M’sieur, qu’est-ce qu’on va utiliser comme appâts ?

— On a des vers de farine et du pain.

— M’sieur, dit Gaspard, moi z’aime bien le poisson, on pourra les manger ceux qu’on va attraper ?

— Oui mon Gaspard, on pourra même les cuisiner.

— P’tin ! le chouette grayon qu’on va faire !  pense tout haut tintin en se relèchant les doigts. Jonas, tout en balançant doucement sa tête d’avant en arrière marmonne : — poisson, poisson, poisson… Vladislas, qui s’agite s’écrie — Super ! on pourra les faire griller sur un feu près de la cabane. Dans les tables autour de nous, toutes les discussions portent sur le groupe qui va partir à la pêche, on fait des envieux. Le repas terminé, on s’était préparé, on avait récupéré le matériel et nous étions partis en direction de la plage. Elle se situait près du port dans le village de pêcheurs. Il y avait une jetée qui avançait assez loin en mer, j’y avais prévu notre lieu de pêche, les pêcheurs y étaient souvent à l’œuvre.

Il faisait beau ce jour-là, un grand ciel bleu, nous marchions à l’ombre de la pinède le long du chemin qui menait au village. On entendait quelques mouettes rirent dans le ciel.

— Moi ze veux attraper des truites, zadore les truites bien grillé nous dit Gaspard.

— Moi je veux pêcher un requin s’enflamme Vladislas qui sautille et s’y voit déjà.

— P’tin ! Pourquoi pas une baleine ajoute Tintin.

— Baleine, baleine, baleine reprend en écho le petit Jonas.

Les enfants étaient enthousiastes, ils avaient accéléré le pas, Fredy et Tony faisaient un duel avec leurs cannes à pêche,je les rappelais à l’ordre, on arrivait à l’entrée du village. Il y avait au bord du chemin un poteau avec une espèce de cabane téléphonique monté dessus. On aurait dit une antiquité, il était écrit dessus « Secours Police ».

— P’tin c’est quoi ce truc ? dit Tintin, j’ai répondu très sérieusement :

— Ça c’est pour si jamais la baleine avale Jonas, on peut venir ici appeler les secours. Les enfants avaient éclaté de rire puis on était entré dans le village. Les gens nous regardaient passer, il y avait quelques touristes et quelques autochtones, sans doute d’anciens pêcheurs.

Aux abords du bistrot, quatre pépères firent la réflexion :

 — Alors les enfants, on va à la pêche ?

— Oui, on veut attraper la baleine

— Moi je veux pêcher un requin

— Moi ze veux attraper des truites

— Baleines, baleines, baleines… répetait Jonas. Fredy et Tony faisaient de grands moulinets avec leur canne à pêche. Un des pépères l’air goguenard fit la remarque : — Vous n’avez pas entendu l’avis de tempête ? La mer est démontée !

— P’tin ! n’importe quoi !

— Ben pour la peine, on vous z’en donnera pas de nos truites !

— Ni du requin

— Ni de la baleine

— Démontée, démontée, démontée…

— Bonne pêche les gamins ! (dans un éclat de rire)

On repris le chemin de la plage, on traversa la place du village pour s’approcher de la jetée et la vue sur plage.

— P’tin c’est quoi ce délire !  ça chlingue !

— La mer est démontée !

— Wouahou Zai zamais vu ça !

— Ben ça alors, les poissons on va pouvoir les ramasser à la main.

— M’sieur, elle est où la mer ?

— La mer vide, la mer vide, la mer vide, marmonnait Jonas.

J’avais complètement oublié les marées, plus exactement la grande marée, la mer ne reviendrait pas avant plusieurs heures. A perte de vue on ne voyait que de la vase, une terrible odeur d’algues pourries venait du large. J’étais rouge de honte et le plus terrible était que nous allions devoir passer bredouille devant le bar aux pépères pour retourner à la colonie.

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